Comment décarboner ses déplacements quand on habite un écolieu ?

Rencontre avec Yoann Gruson-Daniel, habitant à Écoravie, habitat partagé intergénérationnel en Drôme provençale, et également ingénieur spécialisé en mobilité bas carbone et formateur sur ces enjeux. Il coordonne notamment le groupe de travail sur ce sujet au sein de la Coopérative Oasis et animera deux ateliers dédiés lors du prochain Festival Oasis les jeudi 24 et samedi 26 août à 14h30.

©Yoann Gruson-Daniel

Dans le contexte du changement climatique, on sait qu’il faut réduire rapidement nos émissions de gaz à effet de serre comme le CO2. Les déplacements, en particulier en voiture, pèsent-ils si lourds que ça dans les émissions quand on habite un écolieu ?

Oui c’est le tout premier poste d’émission. Il faut rappeler que l’empreinte carbone moyenne d’une personne qui habite un écolieu est bien plus faible que celle d’un français moyen : 5,4 tonnes de CO2 équivalent par an contre 10 tonnes, d’après l’étude menée par le cabinet BL évolution sur le bilan carbone des oasis. Cependant, l’objectif pour assurer le meilleur avenir possible, est de faire chuter cette empreinte sous les 2 tonnes, en moyenne, par personne et par an. Il y a donc encore des progrès à faire.  Or, si on regarde dans le détail, par postes d’émissions (se chauffer, se nourrir, s’habiller, utiliser les services publics…), on constate que les déplacements sont déjà responsables de 2 tonnes de CO2 équivalent par an, pour un habitant d’écolieu. Si on enlève les services publics (dont la décarbonation dépend d’une transformation sociale qui dépasse les oasis), 47 % des émissions des oasis viennent des mobilités. C’est le poste où il y a le moins de différence avec la moyenne nationale, celui où il y a le plus de marge d’amélioration. 

La voiture électrique va tout changer, non ?

Je ne pense pas. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le modèle qui consiste à posséder un véhicule de plus d’une tonne (voire plus de deux tonnes) pour se déplacer en moyenne une heure par jour avec à peine plus d’une personne à bord (toujours en moyenne) est incompatible avec un futur au climat stabilisé. Que la voiture soit thermique, hybride, électrique ou à hydrogène n’y change rien. Il faut revoir profondément notre rapport à la mobilité, en mutualisant davantage, en réduisant la masse des véhicules, ainsi que la vitesse de déplacement car plus on va vite, plus cela coûte d’énergie pour parcourir le même nombre de kilomètres. En plus, il y a plein de coûts cachés qui sont sous-estimés (carburant, assurance, entretien, fin de vie…). Le message que je veux porter c’est qu’il est possible de trouver des alternatives à la voiture individuelle et lourde, même loin des grandes villes, en milieu rural, comme le sont souvent les écolieux. Il y a des solutions. 

Tu coordonnes justement le groupe de travail Mobilité mis en place par la Coopérative Oasis. Comment fonctionne-t-il ?

Avec sept oasis*, nous avons commencé un gros travail d’acquisition de données, c’est-à-dire des relevés mensuels des kilomètres de tous les véhicules (mutualisés ou non), voire même des vélos, pour réussir à comprendre leur utilisation. Et, pour certaines personnes qui veulent participer, on a un carnet de bord pour faire un suivi vraiment exhaustif de chaque trajet pour comprendre quand il est fait, sur quelle durée, pour quelle raison, etc. Ce sont des données précieuses pour se rendre compte notamment, sur quels trajets la voiture pourrait être remplacée par un autre véhicule. L’étape d’après consiste à finaliser l’analyse de ces données et à partager les bonnes pratiques. 

* Magnyéthique, L’Écohameau de Verfeil, la Bigotière, Le Moulin Bleu, la Ferme du Suchel, L’Écohameau du Plessis et Écoravie.

Tu vis à Écoravie, dans la Drôme provençale, un habitat partagé qui a déjà beaucoup réfléchi à ce sujet. Quelles solutions avez-vous mis en place ? Tout le monde fait du vélo ?

Le vélo est une invention incroyable en termes d’efficacité de déplacement. C’est dix à cent fois plus efficace que l’animal le plus efficace pour se déplacer. En revanche, je ne dis pas que tout le monde doit être à vélo. À Écoravie, il y a des personnes – des seniors notamment – qui ont du mal à se déplacer en marchant, alors en vélo… Mais on oublie souvent qu’il y a toute une gamme de véhicules entre le vélo non électrifié et la voiture. C’est sur cette gamme que se base la flotte de véhicules mutualisés « Mobipartage » d’Écoravie.

Les 3 véhicules légers de la flotte Mobipartage | ©Yoann Gruson-Daniel

De quels véhicules d’agit-il ?

On a actuellement quatre véhicules électriques qui ont permis de réduire depuis début 2022 le nombre de véhicules sur l’écolieu, de diminuer les émissions liées à notre mobilité, et accessoirement de moins dépenser pour se déplacer, tout en étant plus indépendant aux variations du prix de l’essence.

On a d’abord commencé par un vélo-cargo avec un grand bac à l’avant qu’on a électrifié nous même afin de ne pas être enchaîné à un constructeur spécifique et être plus souverain sur sa réparation. Il permet de transporter des charges lourdes ou encombrantes, mais aussi plusieurs enfants, en se déplaçant jusqu’à 25 km/h sans trop d’effort, y compris en montée.

Après, nous avons une Citroën Ami, qui appartient à la catégorie des quadricycles électriques. Elle ressemble à une petite voiture à deux places. Elle pèse moins de 500 kg et contient une petite batterie offrant 75 km d’autonomie. Elle ne requiert pas de permis B. On peut se déplacer jusqu’à 45 km/h.

Ensuite, la Renault Twizy, aussi un quadricycle électrique à deux places, l’une derrière l’autre. Elle roule jusqu’à 80 km/h et permet d’effectuer la quasi-totalité des déplacements du quotidien. Elle a également une autonomie d’environ 75 km et pèse moins de 500kg.

Enfin, pour les trajets plus longs, pour devoir transporter plus de choses, ou pour devoir transporter 3 personnes et plus, on a une Renault Zoé (une voiture électrique de 1,5 tonnes). 

Tous ces véhicules ont été achetés en commun à partir de prêts de différents foyers motivés. Ils sont rechargés sur nos bornes électriques « open source », ce qui permet d’être plus indépendant, et par exemple de n’utiliser que l’électricité produite par des nombreux panneaux solaires que nous avons installés sur les trois bâtiments d’Écoravie.

Tu as parlé d’électrification de vélo. Pourquoi ne pas juste acheter directement un vélo électrique ?

On peut bien sûr se procurer un vélo électrique dans le commerce. Mais je cherche à lutter contre l’obsolescence programmée dans ce domaine : les batteries des constructeurs ne sont pas toujours conçues pour durer autant de cycles de charge / décharge qu’elles le pourraient, ou encore, elles ne sont pas réparables, avec parfois une couche logicielle cryptée qui empêche même de faire des mesures électriques de base !

J’ai beaucoup creusé ce sujet pour arriver à mon projet eAska.org. C’est le diminutif d’Askatasuna, « liberté » en basque – mes parents vivent au Pays basque –  avec un petit « e » pour « électrique ». Je propose régulièrement des formations pour les néophytes complets afin qu’ils électrifient leur vélo préféré. C’est à la fois acquérir la liberté qu’offre le vélo électrique et se libérer du modèle fermé des fabricants en installant un moteur, en fabriquant la batterie adaptée à leurs besoins et en apprenant à la réparer. Durant cette formation, donnée à Écoravie ou directement sur différents écolieux, on comprend mieux tous les enjeux de la mobilité bas carbone, les enjeux du recyclage, la pertinence de ces petits véhicules les quadricycles. On a ensuite toutes les clés pour prendre les bonnes décisions, en termes d’émission et de finance sur ses mobilités. Mon bonheur, c’est ensuite d’avoir le retour des utilisateurs qui se servent encore plus qu’avant de leur vélo et laissent leur voiture au garage ! Au Moulin Bleu par exemple, un habitat partagé dans le Loir-et-Cher composé d’une vingtaine de jeunes qui possèdent 8 vélos électrifiés ainsi que 9 batteries fabriquées en stage eAska. Les batteries sont de différentes tailles. En fonction de leur trajet, ils prennent la batterie de la taille qu’il faut, et n’ont ainsi pas de poids inutile à transporter. Le fait de savoir réparer les moteurs et les batteries et d’avoir un stock de pièces détachées leur évite beaucoup de futurs coûts cachés. Quel bonheur d’entendre qu’ils font des sorties à 8 pour assister à tel ou tel événement plus ou moins proche de chez eux avec les vélos eAska, vélos que vous verrez peut-être au Festival Oasis.

Deux séniors d’Écoravie, qui gagnent en mobilité bas-carbone grâce aux deux quadricycles de la flotte mutualisée de MobiPartage | ©Yoann Gruson-Daniel

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Daphné Vialan

Daphné Vialan

Daphné Vialan est passionnée par la vie en collectif et le vivre-ensemble. Elle a habité plusieurs années à l’Arche de Saint-Antoine, et habite maintenant au sein d’un collectif en formation au Nord d’Agen.

Elle accompagne des collectifs à prendre soin de leurs relations au sein de la Coopérative Oasis.

Son expérience personnelle, alliée à ses multiples formations (CNV, gouvernance partagée, dynamique de groupe, transformation constructive des conflits, Processwork et Clean Coaching) font de son travail une combinaison unique qui réunit le cœur et la tête.

Ludovic Simon

Ludovic Simon

Citoyen engagé dans la vallée de la Drôme, amoureux des expériences de coopération et de gouvernance partagée, entrepreneur dans sa vie d’avant et auto-constructeur de maison, Ludovic accompagne des projets d’oasis et d’habitat participatif sur les aspects juridiques, financiers et humains.

Après des études en management de l’innovation à Polytech, il a cofondé plusieurs projets coopératifs : une société en gouvernance partagée dans le domaine de l’emploi avec 10 salariés et 2 millions d’utilisateurs inscrits, un tiers lieu de 3000 m² à Nantes (la Cantine), un évènement professionnel qui rassemble plus de 10 000 personnes sur 3 jours…

Il a également accompagner de nombreux porteurs et porteuses de projets, en notamment dans le secteur de l’ESS.

Ramïn Farhangi

CooperativeOasis_Ramin_Village de Pourgues

Ramïn Farhangi est le cofondateur de l’école Dynamique à Paris (2015), réputée pour être une des premières écoles démocratiques en France, où les enfants font ce qu’ils veulent de leurs journées. Il a également cofondé le réseau national de l’éducation démocratique EUDEC France (2016). Il est l’auteur de Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent (Actes Sud, 2018).

En 2017, il fonde l’écovillage de Pourgues, où il facilite des formations sur la vie collective et le leadership puis rejoint l’équipe opérationnelle de la Coopérative Oasis en 2022 comme animateur du réseau des oasis et accompagnant.

Il est également le fondateur de l’association Enfance Libre qui réunit des désobéissants afin de contester la suppression du régime légal de l’Instruction En Famille.

Coralie Darsy

Portrait Coralie Darsy

Après quelques années d’ingénierie dans l’eau et l’environnement, Coralie a été éducatrice Montessori.

En 2021, elle devient bénévole à la Coopérative Oasis pour lancer la Pépinière Oasis, puis rejoint pleinement l’équipe en 2022 pour coordonner les formations.

 

Mathieu Labonne

Ingénieur de l’Isae-SupAéro de formation ayant travaillé au CNRS dans la recherche sur le climat et la gouvernance carbone, Mathieu Labonne a été directeur de l’association Colibris où il a notamment développé le Projet Oasis.

Il est aujourd’hui président et directeur de la Coopérative Oasis, qui réunit des centaines de lieux de vie et d’activités écologiques et collectifs, où l’on expérimente des modes de vie sobres et solidaires au service du vivant.

Il est aussi engagé sur un chemin spirituel au côté de la sainte indienne Amma, dont il coordonne le centre, la Ferme du Plessis, près de Chartres depuis 2011.

Il est également président d’Oasis21, un ensemble de Tiers-Lieux en Île-de-France qu’il a contribué à créer.

Il est à l’origine de l’écohameau du Plessis  dans l’Eure-et-Loir où il réside avec sa famille.