Peut-on forcer quelqu’un à travailler sur soi dans un collectif ?

On la connaît tous…

Cette personne qui dit dans les tours de météo “bien”, ou “ça va” ou “grand soleil comme par la fenêtre”. (Et rien de plus).

Celle qui ne veut pas entendre parler de CNV ou tous ces trucs là.

Celle qui refuse d’investir dans de la formation en groupe.

Celle qui dit “ça sert à rien”.

Celle qui donne vraiment l’impression de ne pas avancer 

Alors quand on est dans un collectif avec cette personne là (et, d’ailleurs, je crois qu’on l’est tou-te-s), qu’est-ce qu’on fait ? Est ce qu’on lui demande de partir ?

Le problème, si vous faites partir cette personne, c’est que la prochaine personne qui “ne veut pas travailler sur elle”, c’est peut-être vous. Parce que cette histoire de travail sur soi, c’est tout à fait relatif… On est toujours “celui/celle qui a l’air de ne pas avancer” de quelqu’un d’autre…

Alors, est-ce qu’on lui demande d’aller en thérapie ? On lui prend des rendez-vous chez le psy, on l’inscrit incognito à un stage de CNV en lui disant qu’il/elle va faire une croisière ?

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On ne peut pas forcer quelqu’un à travailler sur soi, et ça n’existe pas des gens qui n’évoluent pas

Evidemment, non. On ne peut pas forcer quelqu’un à travailler sur soi. Tout comme on ne peut pas tirer sur une branche pour qu’elle fasse des feuilles, des fleurs, et ne parlons même pas des fruits.

Mais le point positif, c’est aussi que, de la même manière, ça n’existe pas une branche qui ne grandit pas, à moins qu’elle soit morte. Et ça n’existe pas un être humain vivant qui n’évolue pas. Cependant, on chemine chacun-e à sa vitesse, et on explore parfois des chemins différents. Moi j’évolue à fond en ce moment sur les rapports de pouvoir et de domination, d’autres vont faire plutôt du chemin sur l’accueil de leurs émotions, pendant que d’autres encore vont travailler sur leur rapport à leurs parents. Bref, tout le monde évolue et “travaille” sur soi, mais pas tout le monde de la même manière.

Et ça ressemble plus à du jardinage qu’à un travail à l’usine : y’en a qui font de la permaculture, d’autre du maraichage plus classique, mais de toutes façons, ça demande du temps, de la patience, et les éléments naturels (la météo, les animaux) viennent à la fois mettre la pagaille et soutenir tout ça.

Et c’est quelque chose d’éminemment intérieur et je ne peux pas rendre des comptes à l’extérieur de comment j’évolue à l’intérieur, même si bien sûr, il y a des choses qui se voient à l’extérieur au fur et à mesure que j’évolue.

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Faire confiance (et ne pas juger)

Une fois, je me suis retrouvée à juger quelqu’un parce que vraiment, j’avais l’impression que cette personne n’avançait pas. Ça faisait des semaines qu’elle avait des réactions que je trouvais complètement disproportionnées dans nos réunions, en mode zéro prise de risque, et zéro acceptation de la différence et de la nouveauté.

Et puis, je me retrouve à me plaindre de cette personne auprès de quelqu’un d’autre de la communauté. Cette personne m’a raconté certaines choses que vit la personne que je jugeais. Je n’avais pas la moindre idée de ce qui se passait dans sa vie de famille, sa vie intime. Et elle n’était pas du tout prête à le partager dans le collectif. Mais je remercie infiniment la personne qui ne m’a pas encouragée dans mes plaintes et m’a aidée à voir ma compagne de route d’un autre œil.

En fait, cette personne vivait un tel bouleversement sur un plan autre que notre vie collective, qu’elle ne pouvait pas accueillir de bouleversements dans notre vie de groupe. Je comprenais d’un coup complètement toutes ses prises de positions précédentes. Tout ce qui m’avait agacée me revenait en plein visage et je me sentais soudain pleine de compassion.

Source : unsplash.com

Mais nous n’avons pas toujours l’occasion de savoir ce qui se passe pour l’autre personne.

C’est un peu comme quand on conduit. Parfois, on se retrouve derrière quelqu’un qui roule à 60-70 alors que c’est une ligne droite et que c’est limité à 80 (mais j’ai pas assez de visibilité pour doubler quand même, c’est la tuile !). Soit je râle, je l’insulte, je lui dis d’apprendre à conduire, je m’énerve, soit, ce que j’aime beaucoup faire maintenant, je lui trouve plein d’explications : c’est un vieux papy qui revient d’un rdv chez l’ophtalmo et il voit pas très bien, c’est quelqu’un qui a un chagrin d’amour et est perdu dans ses pensées, c’est quelqu’un qui a des enfants à l’arrière qui requièrent son attention et il fait de son mieux pour conduire prudemment tout en s’occupant de ses enfants. Bref, je donne à chacun-e le bénéfice du doute.

Certains diront que c’est niais (et je les comprends !). Mais je préfère maintenant, (et c’est peut-être le plus grand apprentissage de ma vie en collectif), prêter aux autres les meilleures intentions, plutôt que d’imaginer le pire.

Je crois profondément que d’imaginer le meilleur chez les gens, cela les pousse à donner le meilleur, alors que quand j’imagine le pire, eh bien ça les encourage à être leur pire, puisque de toutes façons, c’est ce que j’attends d’eux.

Clarifier le socle commun d’engagement

Certains vont paniquer si on leur dit de faire confiance. Est-ce que ça veut dire qu’on accueille les gens où ils en sont sans jamais rien exiger d’eux/d’elles ?

Je reviens ici aux deux piliers du collectifs : la confiance ET l’engagement.

Cette question du travail sur soi nous pousse à clarifier collectivement notre engagement. Pour certains collectifs, c’est assez de s’engager dans les mots et le cœur à travailler sur soi. A Saint-Antoine par exemple, le travail sur soi est au cœur de la vie commune, mais il n’a pas de forme pré-conçue. Et le groupe fait tout pour l’encourager :

  • une semaine de vacances en plus pour faire une retraite spirituelle, remboursée à moitié par la communauté,
  • jusqu’à 500 euros par an de frais de thérapie remboursés par la communauté,
  • un réseau d’accompagnants qui sont dans des échanges avec la communauté à qui parler,
  • une à deux retraites/formations/séminaires spirituels par an pour la communauté,
  • des temps de régulation et de formation collective réguliers.
Source : unsplash.com

On peut aussi imaginer qu’on s’engage ensemble formellement sur des accompagnements : engagement à avoir un accompagnement individuel, engagement à être accompagnés en tant que groupe (comme celui qu’on propose à Centre-Tenir par exemple !).

Et cet engagement pour qu’il soit le plus ancré possible, il faut aussi lui donner des moyens matériels : se faire accompagner, individuellement, ou en groupe, c’est du temps, de l’argent, auquel il faut réfléchir avant de s’engager pour que les mots ne soient pas des voeux pieux.

Pour les engagements à se faire accompagner individuellement, on se heurte souvent à la difficulté de clarifier ce que c’est “se faire accompagner”. Pour certain-e-s, travailler sur eux, ça sera en allant en thérapie, pour d’autres, c’est en se dépassant en faisant du parapente, pour d’autres encore c’est en faisant de la peinture, et pour d’autres en partant en retraite de méditation. Chacun-e son chemin…

Et l’autre difficulté, c’est qu’il y a des moments dans la vie, où, après avoir été bien secoué-e par la vie, on a envie d’un peu se lâcher la grappe. Et dans beaucoup d’oasis, on vit ensemble sur la durée, pas que pour le cycle essorage de la machine à laver. Alors comment accepter que par moments, je sois plutôt dans une phase d’intégration, de digestion de la machine à laver précédente, avant d’essayer un nouveau cycle de lavage ?

Bref, c’est souvent plus simple de se mettre d’accord sur des choses à faire ensemble et une intention collective de travail sur soi.

Finalement, je fais quoi quand quelqu’un m’agace parce qu’il ne fait pas assez de travail sur soi ?

Eh bien, c’est bateau, mais je vais voir en moi ce qui me touche.

J’écris tous mes jugements sur cette personne, et je vois en quoi ça me touche.

Je peux faire par exemple le travail, de Byron Katie (voir ici).

Et puis surtout, je me rappelle que ce qui me manque, c’est souvent ce que je ne donne pas. Alors qu’est-ce que je peux donner au groupe, qui me manque ? Et voir ce que ça donne…

Enfin, je me rappelle que ces difficultés, elles nous apprennent des choses, à moi, au groupe, et à la personne que je juge comme pas assez comme ci ou comme ça.

Source : unsplash.com

Être accompagné par la Coopérative Oasis

Et vous, quelles leçons vous avez apprises en travaillant avec des personnes qui sont sur un chemin intérieur différent du vôtre ? Comment faites- vous face à ces situations ?

Encore plus de conseils pour celles et ceux qui vivent ou souhaitent vivre oasis dans le livre Vivre ensemble en écolieu écrit par Daphné Vialan, accompagnatrice à la Coopérative Oasis sur le volet humain.

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Daphné Vialan

Daphné Vialan

Daphné Vialan est passionnée par la vie en collectif et le vivre-ensemble. Elle a habité plusieurs années à l’Arche de Saint-Antoine, et habite maintenant au sein d’un collectif en formation au Nord d’Agen.

Elle accompagne des collectifs à prendre soin de leurs relations au sein de la Coopérative Oasis.

Son expérience personnelle, alliée à ses multiples formations (CNV, gouvernance partagée, dynamique de groupe, transformation constructive des conflits, Processwork et Clean Coaching) font de son travail une combinaison unique qui réunit le cœur et la tête.

Ludovic Simon

Ludovic Simon

Citoyen engagé dans la vallée de la Drôme, amoureux des expériences de coopération et de gouvernance partagée, entrepreneur dans sa vie d’avant et auto-constructeur de maison, Ludovic accompagne des projets d’oasis et d’habitat participatif sur les aspects juridiques, financiers et humains.

Après des études en management de l’innovation à Polytech, il a cofondé plusieurs projets coopératifs : une société en gouvernance partagée dans le domaine de l’emploi avec 10 salariés et 2 millions d’utilisateurs inscrits, un tiers lieu de 3000 m² à Nantes (la Cantine), un évènement professionnel qui rassemble plus de 10 000 personnes sur 3 jours…

Il a également accompagner de nombreux porteurs et porteuses de projets, en notamment dans le secteur de l’ESS.

Ramïn Farhangi

CooperativeOasis_Ramin_Village de Pourgues

Ramïn Farhangi est le cofondateur de l’école Dynamique à Paris (2015), réputée pour être une des premières écoles démocratiques en France, où les enfants font ce qu’ils veulent de leurs journées. Il a également cofondé le réseau national de l’éducation démocratique EUDEC France (2016). Il est l’auteur de Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent (Actes Sud, 2018).

En 2017, il fonde l’écovillage de Pourgues, où il facilite des formations sur la vie collective et le leadership puis rejoint l’équipe opérationnelle de la Coopérative Oasis en 2022 comme animateur du réseau des oasis et accompagnant.

Il est également le fondateur de l’association Enfance Libre qui réunit des désobéissants afin de contester la suppression du régime légal de l’Instruction En Famille.

Coralie Darsy

Portrait Coralie Darsy

Après quelques années d’ingénierie dans l’eau et l’environnement, Coralie a été éducatrice Montessori.

En 2021, elle devient bénévole à la Coopérative Oasis pour lancer la Pépinière Oasis, puis rejoint pleinement l’équipe en 2022 pour coordonner les formations.

 

Mathieu Labonne

Ingénieur de l’Isae-SupAéro de formation ayant travaillé au CNRS dans la recherche sur le climat et la gouvernance carbone, Mathieu Labonne a été directeur de l’association Colibris où il a notamment développé le Projet Oasis.

Il est aujourd’hui président et directeur de la Coopérative Oasis, qui réunit des centaines de lieux de vie et d’activités écologiques et collectifs, où l’on expérimente des modes de vie sobres et solidaires au service du vivant.

Il est aussi engagé sur un chemin spirituel au côté de la sainte indienne Amma, dont il coordonne le centre, la Ferme du Plessis, près de Chartres depuis 2011.

Il est également président d’Oasis21, un ensemble de Tiers-Lieux en Île-de-France qu’il a contribué à créer.

Il est à l’origine de l’écohameau du Plessis  dans l’Eure-et-Loir où il réside avec sa famille.