L’apprentissage du faire ensemble à la Ferme de Chenèvre

La ferme de Chenèvre est “un petit univers qui fait comprendre le grand monde”. Située dans le Jura, cette oasis est à la fois un lieu de vie et un terrain d’expérimentation aux multiples facettes qui valorise la coopération.

Le grand prunier célèbre le retour du printemps.
Crédit : Fabrice Tendrevert

À l’origine de cette oasis, une mobilisation autour d’un lieu unique et isolé : la ferme de Chenèvre à La Chapelle-sur-Furieuse, dans le Jura. 25 hectares, un bâtiment ancien, dont certaines parties fortifiées remontent au XIIe siècle. En 2015, lorsqu’elle apprend que la ferme est mise en vente, Manon, maraîchère, propose une réunion pour voir si d’autres personnes seraient intéressées pour l’acheter avec elle… Yorgos adhère immédiatement : « Des fermes comme ça, il n’y en a pas deux dans le coin ! » Un petit groupe de locaux, motivés, se constitue, bientôt rejoint par d’autres personnes venues de toute la France via le réseau Colibris.La Ferme de Chenèvre se trouve dans le Jura à La Chapelle sur Furieuse.

En février 2017, ce collectif de dix personnes achète la ferme grâce à un emprunt auprès de la Nef. Le projet mêle propriété collective, mixité entre habitat, activités et accueil, gouvernance partagée, transition écologique et lien social. Une SCI est créée à laquelle les résidents versent un loyer, de 150 à 500 euros par mois, en fonction de la surface occupée, de sa nature et de son usage. Une association, sociétaire de la SCI, porte les différentes activités.

Un lieu de vie et d’activités

Deux appartements, un atelier de céramique et un fournil ont été écorénovés. Cependant, il y aura au moins dix ans de chantier, en autoconstruction participative essentiellement. Des habitats légers permettent déjà à plusieurs foyers de vivre confortablement, tandis que la rénovation et l’ensemble de l’écoconception se déploient sur du temps long.

Premières portes ouvertes en 2017.Mais la ferme de Chenèvre, ce n’est pas qu’une histoire de logement et de bâti. « Nous souhaitions aussi faire de la ferme un lieu d’activités professionnelles diverses. Si l’on veut être autonome et résilient, l’habitat ne suffit pas… », explique Manon. Très rapidement, elle a donc lancé son activité de maraîchage bio en traction animale pendant que Virginie installait son atelier de céramique. La première récolte de Manon a pris le chemin des Biocoop de la région, et les créations de Virginie ont été vendues dans la France entière. Terre de Pains, SCOP montée par quatre artisans-boulangers bio, s’est emparée du fournil. Morgane, vigneronne voisine, va disposer sa prochaine vendange dans les caves, renouant ainsi le fil séculaire de l’activité vinicole du lieu. De son côté, Yorgos, passionné de restauration, mais écœuré des conditions d’exercice de celle-ci en ville, relance petit à petit son entreprise. Et Maryline réfléchit au développement d’un accueil touristique. Maraîchage en traction animale : séance de découverte lors d’un chantier participatif.

Vivre ou faire le projet ?

Virginie, Manon, José, Pauline, Anne, Maryline, Martin… autant d’habitants réunis autour de valeurs et de rêves communs. Il leur a fallu apprendre à faire ensemble, malgré la diversité des âges, origines sociales, professions et couleurs politiques. “Le MOOC Oasis de Colibris nous a permis d’avoir un langage commun, et aidés à avancer, explique Anne. Nous avons commencé par un travail de fond sur la gouvernance et le faire-ensemble du projet”. Aujourd’hui, Chenèvre pratique une gouvernance proche de la sociocratie. Le groupe s’est formé à la communication non violente (CNV) et utilise des outils d’intelligence collective : gestion par consentement, élection sans candidats, système de cercles… “Ça marche plutôt bien, raconte Maryline. On est tous garants du processus. »

L’atelier de céramique.

À la ferme de Chenèvre, il y a beaucoup de partage de savoir-faire. Frédéric a, par exemple, transmis son expérience d’autoconstruction. « Quand je suis arrivé, je n’avais jamais fait de travaux de construction. Maintenant, je suis référent plomberie et électricité ! », raconte Yorgos. Le collectif valorise l’expérimentation : les apprentissages valent autant que le résultat, et le droit à l’erreur existe.

Néanmoins, tous admettent que la vie communautaire n’est pas un long fleuve tranquille. Le rythme d’un week-end de travail par mois ne colle pas toujours aux envies ou aux besoins. “Cela fait presque trois ans, on commence à avoir une meilleure idée de ce que c’est que “vivre ensemble”, explique Yorgos. Ce qui nous occupe aujourd’hui, c’est de trouver des temps pour vivre le projet plutôt que le faire.”

Martin à la chèvrerie.Dans la tradition d’ouverture du lieu à la vie du village, la ferme de Chenèvre organise régulièrement des portes ouvertes, évènements thématiques ou chantiers participatifs. Un réseau d’une cinquantaine de personnes s’est ainsi constitué alentour, apportant de l’aide, de l’amitié, du travail bénévole, mais aussi des temps d’échange à l’occasion de cafés-philo, cueillettes de plantes sauvages ou soirées guinguette. Car c’est aussi sur le territoire et à travers de multiples réseaux humains que la ferme de Chenèvre entend entretenir et valoriser la communauté dans tout ce qu’elle a de précieux…


Pour en savoir plus

Article paru dans KAIZEN n° 46, septembre / octobre 2019.

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Daphné Vialan

Daphné Vialan

Daphné Vialan est passionnée par la vie en collectif et le vivre-ensemble. Elle a habité plusieurs années à l’Arche de Saint-Antoine, et habite maintenant au sein d’un collectif en formation au Nord d’Agen.

Elle accompagne des collectifs à prendre soin de leurs relations au sein de la Coopérative Oasis.

Son expérience personnelle, alliée à ses multiples formations (CNV, gouvernance partagée, dynamique de groupe, transformation constructive des conflits, Processwork et Clean Coaching) font de son travail une combinaison unique qui réunit le cœur et la tête.

Ludovic Simon

Ludovic Simon

Citoyen engagé dans la vallée de la Drôme, amoureux des expériences de coopération et de gouvernance partagée, entrepreneur dans sa vie d’avant et auto-constructeur de maison, Ludovic accompagne des projets d’oasis et d’habitat participatif sur les aspects juridiques, financiers et humains.

Après des études en management de l’innovation à Polytech, il a cofondé plusieurs projets coopératifs : une société en gouvernance partagée dans le domaine de l’emploi avec 10 salariés et 2 millions d’utilisateurs inscrits, un tiers lieu de 3000 m² à Nantes (la Cantine), un évènement professionnel qui rassemble plus de 10 000 personnes sur 3 jours…

Il a également accompagner de nombreux porteurs et porteuses de projets, en notamment dans le secteur de l’ESS.

Ramïn Farhangi

CooperativeOasis_Ramin_Village de Pourgues

Ramïn Farhangi est le cofondateur de l’école Dynamique à Paris (2015), réputée pour être une des premières écoles démocratiques en France, où les enfants font ce qu’ils veulent de leurs journées. Il a également cofondé le réseau national de l’éducation démocratique EUDEC France (2016). Il est l’auteur de Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent (Actes Sud, 2018).

En 2017, il fonde l’écovillage de Pourgues, où il facilite des formations sur la vie collective et le leadership puis rejoint l’équipe opérationnelle de la Coopérative Oasis en 2022 comme animateur du réseau des oasis et accompagnant.

Il est également le fondateur de l’association Enfance Libre qui réunit des désobéissants afin de contester la suppression du régime légal de l’Instruction En Famille.

Coralie Darsy

Portrait Coralie Darsy

Après quelques années d’ingénierie dans l’eau et l’environnement, Coralie a été éducatrice Montessori.

En 2021, elle devient bénévole à la Coopérative Oasis pour lancer la Pépinière Oasis, puis rejoint pleinement l’équipe en 2022 pour coordonner les formations.

 

Mathieu Labonne

Ingénieur de l’Isae-SupAéro de formation ayant travaillé au CNRS dans la recherche sur le climat et la gouvernance carbone, Mathieu Labonne a été directeur de l’association Colibris où il a notamment développé le Projet Oasis.

Il est aujourd’hui président et directeur de la Coopérative Oasis, qui réunit des centaines de lieux de vie et d’activités écologiques et collectifs, où l’on expérimente des modes de vie sobres et solidaires au service du vivant.

Il est aussi engagé sur un chemin spirituel au côté de la sainte indienne Amma, dont il coordonne le centre, la Ferme du Plessis, près de Chartres depuis 2011.

Il est également président d’Oasis21, un ensemble de Tiers-Lieux en Île-de-France qu’il a contribué à créer.

Il est à l’origine de l’écohameau du Plessis  dans l’Eure-et-Loir où il réside avec sa famille.