Comment rendre les oasis accessibles à tous ?

Pierre Lévy a cofondé les Colibres, un habitat groupé écologique d’une trentaine de personnes situé à Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence). Il a également fondé Regain, une structure qui favorise la réalisation d’habitats participatifs depuis plus de 10 ans en Provence-Alpes-Côte-d’Azur. À l’occasion du Festival Oasis 2020, Pierre a partagé ses interrogations sur le changement d’échelle de ces projets. Comment résoudre la tension entre la difficulté de réaliser des oasis et l’exigence de leur multiplication ? Comment rendre ces lieux accessibles à toutes et tous ?

Pierre Lévy des Colibres
Pierre Lévy

Le logement n’est pas un produit, l’habitant n’est pas un consommateur

Oasis et habitats participatifs sont des opportunités d’habiter la terre sans la détruire et de faire société en essayant de s’affranchir des logiques capitalistes qui prévalent dans la façon de produire le logement dans notre monde moderne.

 

Ces logiques capitalises tendent à considérer le logement comme un simple produit, conçu pour être « bien vendu » ou « bien loué » d’avantage que pour être « bien habité ». Toutes ces boites superposées qui s’empilent dans nos villes sont autant de supports économiques, dont le rôle premier, plutôt que de créer de la valeur d’usage, est à la fois de stocker de la valeur financière et de faciliter les transactions à visées spéculatives. Pour cela, il faut créer un marché fluide et prévisible, en standardisant les biens qui y circulent… et les acheteurs susceptibles de les acquérir.

Vue aérienne des Colibres
Les Colibres

Le système capitaliste réduit ainsi l’habitant au rôle de consommateur passif, aux besoins uniformisés et déterminés par des études marketing déterminant des profils types, des segments de marchés… dont le principal déterminant est le niveau de pouvoir d’achat plutôt que le souhait d’habiter de telle ou telle manière.

Un jeune habitant jouant dans le jardin commun
Les Colibres

La prise collective de risque, prix à payer pour l’autonomie

Pour tenter de s’affranchir de ces logiques qui séparent et segmentent, les oasis et habitats participatifs visent à se donner un maximum d’autonomie par rapport au modèle dominant, en s’appuyant sur des stratégies collectives visant à rechercher des formes de propriété où la capacité à faire société prime sur l’enjeu patrimonial, et qui impliquent de remplacer les promoteurs qui standardisent par une autopromotion citoyenne créative guidée par le désir de vivre ensemble.

Cette recherche d’autonomie implique de transformer le consommateur habitué à être protégé en acteur collectif, capable de prendre et d’assumer des risques. Mais ces risques, quels sont-ils ?

L'un des bâtiments des Colibres
Les Colibres

Quand des citoyens s’organisent pour imaginer, monter et réaliser leur habitat (en neuf ou en réhabilitation), ils prennent des risques liés à une opération immobilière de parfois plusieurs millions d’euros – l’immobilier est l’une des activités économiques aujourd’hui les plus risquées – grâce à des formes de propriété et de financement encore pionnières dans le marché de la propriété privée. Ils sont des non spécialistes qui prennent sur leur temps de loisir, en expérimentant en même temps des formes autogestionnaires dont on commence à connaître l’extrême difficulté… Bref, les risques sont élevés et un fort désir de faire advenir, s’il est essentiel, ne suffit pas toujours pour les surmonter.

Aujourd’hui, monter une oasis relève de la virtuosité

L’ensemble des qualités humaines, le niveau d’expertise citoyenne et l’énorme disponibilité qu’il faut concrètement mobiliser pour parvenir au but tendent ainsi à rendre ces projets accessibles seulement à quelques virtuoses.

Les Colibres

Comment dans ces conditions tenir la promesse de multiplier le nombre des Oasis par 10, par 100, par 1000 ?… Comment faire nombre, condition nécessaire si l’on est sérieux dans notre projet politique de contribuer un peu à l’amélioration de la condition humaine ?

Comment résoudre la tension entre la recherche d’une autonomie à laquelle est attachée le sens de nos démarches mais dont les conditions de faisabilité en font un projet élitiste, et l’exigence de démocratisation des oasis dont dépendra toute leur puissance ?

Rez-de-chausée aux Colibres
Les Colibres

L’accompagnement de projet peut-il suffire à résoudre le tiraillement entre ces deux exigences opposées ? La construction d’une expertise citoyenne en réseau telle que la développe aujourd’hui la Coopérative Oasis ou Habitat Participatif France de manière militante est-elle à la hauteur des enjeux ? Est-il possible (pertinent, faisable et éthique) d’imaginer la constitution de promoteurs citoyens spécialisés dans la création d’oasis ?

Champs des Colibres
Les Colibres

Doit-on souhaiter la venue des gros promoteurs qui s’intéressent de plus en plus à ce nouveau segment de marché ? Mais comment alors conserver sa posture d’acteur dans des solutions de marché où l’on redevient client ?

La question du changement d’échelle des oasis se joue maintenant.

La résignation n’est pas une option. Des solutions doivent être imaginées maintenant car c’est en ce moment que la question du changement d’échelle de notre mouvement se joue. La manière dont les mouvements citoyens résoudront cette tension entre autonomie et démocratisation, ou dont elle sera résolue par des professionnels plus ou moins proches de ces mouvements, fournira très certainement la couleur des Oasis de demain. Je vous invite à venir discuter des pigments qui composeront cette couleur…

Toutes les photos ont été prises aux Colibres par Alexandre Sattler


Pour aller plus loin

À lire : Les Colibres

lescolibres.jimdofree.com

regain-hg.org

Festival Oasis 2020

Sur le même thème

Retour en haut

Contactez-nous

Daphné Vialan

Daphné Vialan

Daphné Vialan est passionnée par la vie en collectif et le vivre-ensemble. Elle a habité plusieurs années à l’Arche de Saint-Antoine, et habite maintenant au sein d’un collectif en formation au Nord d’Agen.

Elle accompagne des collectifs à prendre soin de leurs relations au sein de la Coopérative Oasis.

Son expérience personnelle, alliée à ses multiples formations (CNV, gouvernance partagée, dynamique de groupe, transformation constructive des conflits, Processwork et Clean Coaching) font de son travail une combinaison unique qui réunit le cœur et la tête.

Ludovic Simon

Ludovic Simon

Citoyen engagé dans la vallée de la Drôme, amoureux des expériences de coopération et de gouvernance partagée, entrepreneur dans sa vie d’avant et auto-constructeur de maison, Ludovic accompagne des projets d’oasis et d’habitat participatif sur les aspects juridiques, financiers et humains.

Après des études en management de l’innovation à Polytech, il a cofondé plusieurs projets coopératifs : une société en gouvernance partagée dans le domaine de l’emploi avec 10 salariés et 2 millions d’utilisateurs inscrits, un tiers lieu de 3000 m² à Nantes (la Cantine), un évènement professionnel qui rassemble plus de 10 000 personnes sur 3 jours…

Il a également accompagner de nombreux porteurs et porteuses de projets, en notamment dans le secteur de l’ESS.

Ramïn Farhangi

CooperativeOasis_Ramin_Village de Pourgues

Ramïn Farhangi est le cofondateur de l’école Dynamique à Paris (2015), réputée pour être une des premières écoles démocratiques en France, où les enfants font ce qu’ils veulent de leurs journées. Il a également cofondé le réseau national de l’éducation démocratique EUDEC France (2016). Il est l’auteur de Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent (Actes Sud, 2018).

En 2017, il fonde l’écovillage de Pourgues, où il facilite des formations sur la vie collective et le leadership puis rejoint l’équipe opérationnelle de la Coopérative Oasis en 2022 comme animateur du réseau des oasis et accompagnant.

Il est également le fondateur de l’association Enfance Libre qui réunit des désobéissants afin de contester la suppression du régime légal de l’Instruction En Famille.

Coralie Darsy

Portrait Coralie Darsy

Après quelques années d’ingénierie dans l’eau et l’environnement, Coralie a été éducatrice Montessori.

En 2021, elle devient bénévole à la Coopérative Oasis pour lancer la Pépinière Oasis, puis rejoint pleinement l’équipe en 2022 pour coordonner les formations.

 

Mathieu Labonne

Ingénieur de l’Isae-SupAéro de formation ayant travaillé au CNRS dans la recherche sur le climat et la gouvernance carbone, Mathieu Labonne a été directeur de l’association Colibris où il a notamment développé le Projet Oasis.

Il est aujourd’hui président et directeur de la Coopérative Oasis, qui réunit des centaines de lieux de vie et d’activités écologiques et collectifs, où l’on expérimente des modes de vie sobres et solidaires au service du vivant.

Il est aussi engagé sur un chemin spirituel au côté de la sainte indienne Amma, dont il coordonne le centre, la Ferme du Plessis, près de Chartres depuis 2011.

Il est également président d’Oasis21, un ensemble de Tiers-Lieux en Île-de-France qu’il a contribué à créer.

Il est à l’origine de l’écohameau du Plessis  dans l’Eure-et-Loir où il réside avec sa famille.